jeudi 31 janvier 2013

Fahrenheit 451, température à laquelle un livre s'enflamme et se consume


Montag est pompier. C’est à dire qu’il manie une lance à pétrole et, quand l’alarme résonne dans la caserne, il s’élance pour brûler des livres et incendier les maisons qui les abritent. Pas le temps de réfléchir au bien fondé des lois ou à l’origine de tout cela quand votre esprit est submergé au quotidien par les incessants torrents déversés par les murs-écrans du salon, les haut-parleurs du métro, les petits écouteurs insérés dans vos oreilles. Mais une rencontre inattendue avec une jeune fille pourrait allumer une flamme d’une autre nature…

Avec Fahrenheit 451, Ray Bradbury nous offre une vision angoissée et angoissante de l’avenir tel qu’il se profile à l’époque où il écrit, en 1953. C’est avec un esprit lucide et critique qu’il dépeint les dérives possibles de notre société de consommation lancée à toute vitesse dans une course en avant, refusant de voir le mur vers lequel elle se précipite. La réflexion tourmente l’homme et le rend malheureux ? Ne lui laissons plus une occasion de penser, remplissions son temps libre de bruit et de publicités, d’attractions violentes et d’amis virtuels l’abrutissant jour et nuit de leurs bavardages inconsistants. Les livres font réfléchir ? Brûlons les livres !
Loin d’être obsolète, ce roman d’anticipation reste d’une actualité déroutante, effrayante mise en garde dans notre monde où la télévision occupe un autel dans chaque salon. Bien que cette dystopie soit extrême, l’évolution de la société tend à confirmer la prédiction glaçante de Bradbury. Au beau milieu du livre, une mère évoque ses enfants : « On les fourre dans le salon et on appuie sur le bouton. C’est comme la lessive ; on enfourne le linge dans la machine et on claque le couvercle. » Si l’inhumanité des mots choque, qui irait nier la réalité de cette scène dans bien des foyers modernes ?
Bradbury ne condamne toutefois pas l’humanité à sa destruction totale et inéluctable. Son style riche en métaphores et sa prose teintée de poésie donnent lieu à des moments de grâce où l’espoir renaît dans cet univers terne. Et si l’homme ne peut éviter de se détruire, peut-être peut-il aussi, à l’instar du phénix, ressurgir de ses propres cendres…

Le Club des incorrigibles optimistes, Jean-Michel Guenassia


Que vous soyez un optimiste ou non, bienvenue au club de Jean-Michel Guenassia ! Vous y rencontrerez Michel Marini, un garçon de 12 ans amateur de baby-foot, de photographie et de livres, Igor, Léonid, Imré, Sacha et bien d'autres qui ont fui l'est de l'Europe abandonnant travail, famille et convictions. Vous pourrez aussi apercevoir Sartre ou Kessel en quête d'inspiration. 
Y refait-on le monde ? De temps en temps... Mais, avant toutes choses, on y joue aux échecs et, entre deux parties, quelques échanges nostalgiques, revendicateurs ou pleins d'humour sont de mise.
Dans ce Paris des années 60, Jean-Michel Guenassia nous dresse des portraits d'hommes déracinés qui ont su garder le goût de vivre. Celui-ci nous semble d'autant plus admirable que nous parvient l'écho de la guerre d'Algérie et que se dessine l'angoisse de la vie sous le joug soviétique.

« Assis sur la banquette, Igor et Werner se parlaient de leurs vies passées et restaient étrangers à cette agitation.
   - Ça n'a pas du être facile pour vous, lui a dit Igor.
   - Ça n'a pas été facile pour vous non plus.
   - L'important, c'est d'être vivant, non ?
   - Oui, il faut penser à l'avenir.
   - Si nous, nous ne sommes pas optimistes, qui le sera ? »

Ce livre fait définitivement parti des lectures qui vous marquent et dont on ressort grandi, notamment par la dimension historique que l'auteur a su apporter au récit. Il ne s'agit pas pour autant d'un roman historique mais bien d'une fiction, teintée de drames et de secrets, qui nous tient en haleine jusqu'à la fin.


Un hobbit sort de son trou


Amateur de simplicité, J.R.R. Tolkien se décrivait lui-même comme un hobbit : « En fait, je suis un hobbit, en tout sauf en taille. J’aime les jardins, les arbres, les cultures non mécanisées ; je fume la pipe, j’aime la bonne nourriture simple […] Je ne voyage guère. »
En effet, les hobbits ne quittent jamais leur chère Comté et Bilbo Baggins, le héros de Bilbo le hobbit, ne fait pas exception à cette règle. S’il finit par partir à l’aventure c’est parce que le magicien Gandalf lui demande de se joindre à la compagnie de Thorïn Écu-de-Chêne. Ce dernier, accompagné de douze autres nains, veut reprendre son royaume perdu d’Erebor, tombé aux griffes du dragon Smaug il y a fort longtemps. D’abord réticent à la perspective de rencontrer un dragon, Bilbo finit par se laisser convaincre et part pour les Terres Sauvages à la rencontre de trolls, d’elfes et de gobelins en nous entraînant avec lui.
C’est par ce premier roman, publié en 1937, que Tolkien nous présente la Terre du Milieu. La création de ce monde aura occupé la majeure partie de sa vie, des années 1910 jusqu’à sa mort en 1973, et nous pouvons le découvrir davantage dans Le Seigneur des Anneaux et Le Silmarillon, entre autres. Ces trois ouvrages sont ses œuvres les plus connues mais elles ne représentent que l’infime partie émergée d’un immense iceberg.

 « Ceci est le récit de la façon dont un Baggins eut une aventure et se trouva dire et faire les choses les plus inattendues. Il se peut qu'il y ait perdu le respect de ses voisins, mais il y gagna... eh bien, vous verrez s'il y gagna quelque chose en fin de compte. »

                        "Un amour de Swann" dans A la recherche du temps perdu de Marcel Proust


De son vrai nom, Louis Georges Eugène Marcel dit Marcel Proust a composé une œuvre universelle retraçant une "comédie-humaine de la Belle Époque" du XIXème siècle dans A la Recherche du temps perdu, une véritable "cathédrale" littéraire pour reprendre ses termes. Du côté de chez Swann, publié en 1913 est le premier tome de la Recherche, et contient notamment " Un amour de Swann", roman qui peut être lu indépendamment du reste de l’œuvre.Charles Swann est fou amoureux d'Odette de Crécy qui le refuse. Certes, il s'agit d'un roman qui fait presque deux cent pages, avec des phrases très longues faisant perdre la tête au lecteur, néanmoins la fin demeure splendide: "J'ai gâché des années de ma vie, que j'ai voulu mourir, que j'ai eu mon grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas,qui n'était pas mon genre". Le tour de force de Proust, c'est d'avoir réussi à captiver son lecteur pour parler d'un amour en réalité inexistant, deux cent pages merveilleuses pour parler du vide de l'existence." Un amour de Swann" se présente en effet  avant tout comme une réflexion sur l'amour et la jalousie, redoublée d'un sentiment de l'échec et du vide de l'existence. Proust disait à juste titre: "on n'aime que ce qu'on ne possède pas tout entier". Charles Swann désire Odette de Crécy parce qu'elle le refuse.
De plus, "Un amour de Swann" devient magique et prend toute sa poésie par le passage portant sur la "Sonate de Vinteuil", où l'on voit se développer toute une réflexion sur la découverte de l'art. Ce passage se définit comme une véritable hypotypose transportant ainsi le lecteur face à la scène et Proust, d'ailleurs, considérait la musique comme la "communication des âmes", autrement dit un "alter ego du langage".
Des périodes, des descriptions longues sont présentes dans le roman mais n'altèrent en rien la grande qualité  de l'ouvrage. Ramon Fernandez disait qu'"Un amour de Swann est comme un lavis de la philosophie de Proust".

Au Bonheur des Dames, Zola

Onzième roman de la série des Rougon-Macquart, Au Bonheur des Dames d’Émile Zola, auteur majeur du courant naturaliste, nous raconte l’histoire de Denise Baudu, arrivée à Paris avec ses deux frères afin de trouver un emploi.
Après de nombreux déboires, elle est finalement engagée au Bonheur des Dames, magasin en plein expansion, et y découvre alors son fonctionnement. « Alors Denise eut la sensation d’une machine, fonctionnant à haute pression, et dont le branle aurait gagné jusqu’aux étalages. » Denise finira par évoluer au sein de ce grand magasin et une intrigue sentimentale naîtra dans sa vie.
Au travers des diverses intrigues, l’auteur nous livre ici une description précise de l’accroissement et du développement commercial des grands magasins, et cela, face aux petits commerçants impuissants. Zola nous dresse ici un portrait de l’évolution de la société vers un monde capitaliste dans lequel le rendement reste une priorité. Les rouages du fonctionnement du magasin sont donc méticuleusement analysés, la description tenant une place importante dans le roman. La femme est aussi au cœur des préoccupations de ce nouveau commerce. Par ailleurs, nous avons aussi la représentation d’une ascension sociale, celle de Denise.

mercredi 30 janvier 2013

Peter Pan de Régis Loisel
 
Ne vous fiez surtout pas à son titre : cette version de Peter Pan revisitée par Régis Loisel aux éditions Vents d'Ouest n'est pas à mettre entre les mains des enfants ! Auteur dans les années quatre-vingts de La Quête de l'oiseau du temps, série d'heroic fantasy, Loisel imagine ici un prélude aux aventures du célèbre  héros. Si le fantastique opère toujours, cette série en bande dessinée nous entraîne bien loin de l'univers onirique créé par J. M. Barrie en 1902.  Apre et crû, le récit s'inspire davantage d'Oliver Twist en nous plongeant dans les bas-fonds de Londres, hanté par Jack l'Eventreur. Le jeune Peter, battu et chassé par une mère alcoolique, y côtoie la misère la plus sordide. Seul le rêve lui permet d'échapper un instant à la sinistre réalité. Au plus fort du désespoir, la rencontre de la minuscule fée Clochette ouvre les pages d'une autre histoire, celle où les rêves sont la réalité...
Le trait de Loisel, extrêmement fouillé, exprime à merveille les sentiments complexes qui animent Peter Pan et la violence d'un monde sans pitié pour les enfants. Cette sombre vision, illuminée tout de même par le pouvoir de la magie, séduira tous ceux qui se méfient des contes de fée !

mardi 29 janvier 2013

Dracula de Bram Stoker


Dracula, le terrifiant « non-mort ».

« Quel homme était-ce donc - ou plutôt, quelle créature sous une apparence humaine ? Je sentis soudain m'envahir toute la menace de cet horrible endroit. J'ai peur - une peur atroce, d'autant plus atroce que je la sais sans issue. Je suis prisonnier de terreurs auxquelles je n'ose même pas penser. »

Dracula, est l’œuvre majeure de Bram Stoker. Il y a travaillé pendant dix ans, avant de la publier en 1897. Entre la parution de L'Étrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde de Robert Louis Stevenson en 1886 et la vague de crimes commis à Londres par Jack L’Éventreur en 1888, l’auteur baignait dans une atmosphère gothique propice à l’écriture.
Pour créer le personnage du comte Dracula, Bram Stoker s’est inspiré de Vlad l’Empaleur, célèbre prince de la Valachie du XVe siècle. Il pose dans son roman les principales caractéristiques du vampire : apparition à la nuit, transformation, absence de reflet dans les miroirs et grande capacité de séduction. Car Dracula n’est pas qu’un buveur de sang, c’est avant tout un aristocrate raffiné et vif d’esprit.
Le récit commence avec son désir de quitter la région dépeuplée de Transylvanie pour aller s’installer à Londres. Pour ce faire, il fait appel à Jonathan Harker, jeune clerc de notaire. Mais en s’attaquant au jeune homme ainsi qu’à la meilleure amie de sa fiancée, Dracula attire sur lui l’attention du professeur Van Helsing qui mettra tout en œuvre pour l’arrêter.
Le roman aborde une grande variété de thèmes, tels que la folie, l'amour, ou la foi. De plus, la présentation du récit sous forme de documents écrits, journaux intimes, lettres, rapports officiels ou télégrammes, plongent le lecteur au cœur de l’intrigue. L’histoire fascine du début à la fin.
Dracula est un roman qui s’adresse à tous les mordus de lecture !

L'Ecume des jours de Boris Vian



« Les histoires d’amour finissent mal en général » et L’Ecume des jours ne fait pas exception à la règle. Publié à la fin des années 1940, ce roman raconte la tragique histoire d’amour de Colin et Chloé. Oscillant entre le conte et la science fiction, l’humour et le grinçant, Boris Vian décrit la rencontre coup de foudre puis la longue descente aux enfers du couple, suite à la découverte d’un nénuphar dans le poumon de Chloé.
Dans cette société surréaliste, les maisons évoluent au gré de la santé de ses occupants et leurs tuyauteries abritent des anguilles et des truites propres à la consommation. Une des grandes réussites du roman est sans aucun doute le pianocktail de Colin : chaque note correspond à un ingrédient et la machine élabore un cocktail en fonction du morceau joué.
Grand amateur de jazz, Boris a fait de cette musique noire américaine un élément central du roman. Lors de sa rencontre avec Chloé, Colin, bafouillant, lui demande ainsi si elle est « arrangée par Duke Ellington ». Imprégnant tout le roman, cette ambiance musical permet d’adoucir la dureté de certaines situations auxquelles est confronté le couple quand la maladie de Chloé se déclare.

lundi 28 janvier 2013

Le corps exquis, Poppy Z. Brite

Horreur et sublime n'ont jamais aussi bien rimé que dans l'écriture crue et viscérale de Poppy Z. Brite.
Violeur séropositif et nécrophile homosexuel, voici le portrait d'Andrew Compton évadé de prison en faisant croire à sa propre mort. Sa rencontre avec un jeune drogué prostitué du nom de Tran offre à l'amateur de sensations fortes de quoi satisfaire ses désirs morbides de chair et de sang. Si Tran est la victime parfaite, ce roman ne laissera pas non plus le lecteur indemne.

Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand

Ah ! Que pour ton bonheur je donnerais le mien,
Quand même tu devrais n'en savoir jamais rien”.

Le personnage de Cyrano est un mélange de pathos et de sublime, inspiré de la Commedia dell'Arte. Il est romantique, héroïque, drôle, spirituel, touchant… Mais son nez, “qui d’un quart d’heure en tout lieu le précède”, l’empêche d’avouer son amour à Roxane, de peur qu’elle rejette sa laideur. Roxane est une précieuse. Elle aime les beaux discours et Christian, un jeune cadet que Cyrano va promettre de protéger par amour pour la belle. Mais Christian n’a pas d’esprit tandis que Cyrano n'en manque pas. Aussi les deux hommes vont-ils passer un pacte pour séduire Roxane en alliant la beauté de l'un au verbe de l'autre. Cest le schéma traditionnel du triangle amoureux sur fond de cape et d'épée et de tragédie classique. Pourtant le lecteur s'emballe en même temps que l'histoire s'accélère au rythme des tirades immortelles prononcées par notre héros. Les duels se multiplient, les épées jaillissent hors de leur étui, le sang coule, et des hommes tombent à terre. A quelques pas de là, dans un jardin, Cyrano, caché dans un bosquet se déclare à travers Christian et Roxane donne son premier baiser. 

Dans son premier grand succès, Edmond Rostand a su condenser tout le génie de la littérature française: humour, poésie et romance s’entremêlent pour offrir au lecteur une pièce sans pareil qui le fait glisser, à chaque instant Du sourire au soupir, et du soupir aux larmes !

Ils sont votre désespoir et vous êtes leur crainte
Thierry Jonquet
2006


Ecrit bien avant les émeutes de 2005 et le meurtre d’Ilan Halimi, ce magistral roman noir est visionnaire.
Une jeune prof juive est nommée à Certigny, ville imaginaire (mais si réaliste !) de Seine Saint Denis.
Ses collégiens, plongés dans un quotidien de violence, de misère culturelle et d’intégrisme religieux sont pour beaucoup en échec scolaire.
Cependant, un jeune se détache par son intelligence et sa créativité : Lakdar.
Malheureusement, suite à une erreur médicale, il perd l’usage de la main droite  en même temps que le plus cher de ses rêves : devenir illustrateur de BD.
Il se laisse alors convaincre par les djihadistes de son quartier que l’erreur du médecin, un « feuj », était intentionnelle.
Il sombre alors dans l’intégrisme, au point d’enlever et de torturer le frère de ce jeune médecin, avant de se suicider.
En marge de cette histoire principale, gravitent d’autres personnages : des trafiquants de drogue, un substitut du procureur désabusé, d’autres collégiens, sur fond d’émeutes.
La révolte, la pauvreté, le sentiment d’abandon et de rejet des habitants de cette ville fantôme nous rappelle à la citation de Victor Hugo à propos des communards, toujours d’actualité.