mercredi 30 mars 2011

Un secret, Philippe Grimbert

Quel est ce secret profondément enfoui et qu’aucun membre de la famille ne consent à lui révéler ? Vous le découvrirez en lisant Un secret de Philippe Grimbert. Ce roman est paru en 2004 chez Grasset et a reçu le prix Goncourt des lycéens et le prix Wizo (destiné à une œuvre d’intérêt juif). Mais, il existe aussi en poche. À travers ce récit, l’auteur nous livre une part de sa propre histoire.

Philippe Grimbert nous emmène à la rencontre d’un jeune garçon né en 1948 (donc quelques années après la fin de la Seconde Guerre mondiale). Ce garçon frêle vit entouré de ses parents Tania et Maxime, deux grands athlètes de haut niveau. Face à eux, leur fils s’invente un frère fort et protecteur (mais pour lui ce frère qu’il appelle Sim a vraiment existé). Tania et Maxime s’obstinent pourtant à lui répéter qu’il n’a jamais eu de frère. L’auteur, à travers cette histoire, nous plonge au cœur d’un tragique secret de famille et nous fait prendre conscience des conséquences que cela peut avoir. Partant donc à la recherche de la vérité, le narrateur commence à interroger Louise, son infirmière qui est aussi une amie de la famille. Avec le temps, elle est aussi devenue la confidente du narrateur. Celle-ci finit par lui avouer qu’elle connaît effectivement la vérité. Elle sait ce qui s’est passé dans la famille du narrateur pendant la Seconde Guerre mondiale. Grâce à cette magnifique et troublante histoire, Philippe Grimbert nous entraîne au cœur de l’histoire de France et plus particulièrement à l’époque du régime de Vichy. Le secret de Tania et Maxime remonte effectivement à cette époque. Maxime était alors marié à une femme juive Hannah. Quant à Tania, elle était mariée à Robert (qui avait été envoyé au front pendant la guerre). Petit à petit, au fil des rencontres avec Louise, le narrateur va apprendre à connaître tous les membres de sa famille et leur histoire. Philippe Grimbert nous donne aussi une certaine vision de la vie de couple à travers l’histoire de Tania et Maxime. Les parents du narrateur vivent en effet avec le sentiment d’un amour coupable. Ils sont fous amoureux l’un de l’autre depuis que leurs regards se sont croisés, mais si cette histoire a pu continuer, c’est suite à la déportation d’Hannah à Auschwitz et à la mort de Robert au front. Les deux amoureux ont donc un énorme sentiment de culpabilité qu’ils tentent de surmonter. Cette épreuve les a véritablement rapprochés. Le narrateur lui comprend ainsi pourquoi ses parents ne parlent jamais de leur vie d’avant et de leur rencontre. Progressivement, il va lui aussi se rapprocher de ses parents et découvrir le secret de sa famille.

Ce roman poignant a été adapté au cinéma et nous offre donc une autre manière de découvrir la bouleversante histoire de cette famille.

Pied de nez à la littérature noble

Je m'en vais, Jean Echenoz. Minuit 1999


« Je m’en vais », tels sont les premiers mots de ce neuvième roman de Jean Echenoz. Fidèle à son éditeur, Minuit, l’auteur est aussi fidèle à son style décalé où plane un soupçon d’autodérision. L’intrigue semble n’être qu’un prétexte à l’écriture mais n’est pas dénuée d’intérêt pour autant.

On y retrouve des personnages déjà connus par les lecteurs d’Un an (Minuit 1997), le précédent roman d’Echenoz. Mais l’héroïne d’alors, Victoire, devient ici personnage secondaire tandis que Ferre, figure peu exploitée dans Un an, occupe le premier plan dans Je m’en vais.

La cinquantaine, Félix Ferrer, en instance de divorce, tient une galerie d’art dans le neuvième arrondissement de Paris. Son employé, l’original Delahaye, décède un beau jour, à l’improviste pourrait-on dire, alors que Ferrer s’apprête, sur ses conseils, à partir au Pôle Nord à la recherche d’un bateau échoué et de son chargement : des œuvres d’art inconnues. Voyage au Pôle Nord, conquêtes féminines plus ou moins réussies, cambriolage de la galerie…, les péripéties s’enchaînent et s’entrelacent avec finesse. Même thème du voyage et de l’errance cher à l’écrivain qui prend le temps, malgré de fréquentes ellipses, de détailler à la seconde et au geste près l’emploi du temps si souvent banal de ses héros. Rien de nouveau, donc. Mais rien de redondant pour autant dans l’écriture echenozienne. Le narrateur, jouant subtilement à celui qui, tel le lecteur, ne connaît pas la suite de l’histoire qu’il raconte, captive son public. Ainsi Echenoz intervient dans le texte en posant par exemple cette série de questions (pages 127) : « Mais ne serait-il pas temps que Ferrer se fixe un peu ? Va-t-il éternellement collectionner ces aventures dérisoires dont-il connaît d’avance l’issue […] ? […] Serait-il revenu de tout ? ». L’écrivain joue sans cesse avec la langue, dépassant avec art les règles temporelles et les liens logiques (page 24 : « Car à l’époque dont je parle, le marché de l’art n’est pas brillant et, soit dit en passant, le dernier électrocardiogramme de Ferrer n’est pas très brillant non plus ») ; étant tour à tour narrateur distant puis omniprésent et complice de son lecteur (« Changeons un instant d’horizon, si vous le voulez bien », page 86). Echenoz joue aussi avec le lecteur en transformant chaque anecdote en élément primordial pour l’intrigue. Ainsi les places préférées des personnages dans le métro deviennent des fils conducteurs qui rendent compte, au fur et à mesure du livre, des caractères de nos héros. De même, le parfum d’une femme décrit aux premiers temps de l’histoire, réparait dans les dernières pages. C’est toute une atmosphère composée de concordances et de clins d’œil qu’instaure Echenoz. Une ambiance particulière se tisse au fil des pages, ambiance ouverte par le premier « je m’en vais », à la première page et refermée par son pendant « et je m’en vais » clôturant l’œuvre.

Ce grand roman qui mérite amplement son prix Goncourt est aussi, et peut-être surtout, un pied de nez à la représentation communément et bêtement admise d’une littérature noble nécessairement sérieuse. Echenoz, qui privilégie l’écriture à l’intrigue, parvient à mettre à la portée de tous une littérature à la fois riche et divertissante.

L’Adversaire d’Emmanuel Carrère, 1999, Folio


Une vie construite sur un mensonge, un secret long de dix-huit ans qui finit par éclater et un homme qui assassine sa famille : il s’agit d’un fait-divers tragique qui a eu lieu en France en janvier 1993. C’est ce drame intime qu’a exploré Emmanuel Carrère dans son livre publié en 1999.

Emmanuel Carrère est un journaliste qui s’est essayé à divers genres littéraires et qui publie depuis les années 1980. Il a écrit des essais, des biographies et de la science-fiction. Il est notamment l’auteur de L’Amie du jaguar, Bravoure, La Moustache, Le Détroit de Behring ou encore La Classe de neige.

Ce livre n’est ni une biographie, ni une enquête, ni un entretien mais sans aucun doute un peu des trois à la fois. L’auteur explore la vie d’un homme et tente d’expliquer un drame. En effet, Emmanuel Carrère s’est non seulement penché sur un fait-divers tragique mais il tente surtout de comprendre, et de nous faire comprendre, l’incompréhensible. C’est pour cela qu’il est entré en contact avec Jean-Claude Romand, l’homme qui a fait de sa vie une succession de mensonges et qui a préféré éliminer sa famille que de se confronter à la vérité. L’Adversaire nous raconte la vie de cet homme, son incapacité à accepter l’échec, et sa chute inéluctable.

Le personnage central du livre est évidemment Jean-Claude Romand. Ce dernier poursuivait des études de médecine qu’il n’a pas réussies. Plutôt que d’avouer son échec, il préfère mentir et fête la réussite de ses examens avec ses proches. Il se fait désormais passer pour un médecin. Un mensonge en entraînant un autre, il prétend travailler au siège de l’OMS à Genève. Il part de chez lui tout les matins comme n’importe quel employé et parle le soir de ses collègues de bureau. Il s’invente une vie qui n’est pas la sienne et commence à jouer un rôle qu’il tiendra pendant dix-huit ans. En réalité, il passe ses journées à errer et vit en escroquant ses proches : il leur conseille de placer leur argent et se propose même de gérer leurs comptes ! Il vivra ainsi jusqu’à l’explosion du drame. Un jour des interrogations naissent, on veut récupérer l’argent placé et Jean-Claude Romand prend peur. Sa vie entière va être mise à nu et ses échecs, ses mensonges vont être révélés. Finalement, il se résout au pire plutôt que d’affronter ses proches et de leur avouer la vérité.

Ce livre est passionnant car il touche à la complexité de la nature humaine. On comprend le processus qui le conduit à mentir une première fois puis à s’enfermer dans le mensonge. Ce livre nous fait découvrir l’homme et sa nature depuis son enfance. Il montre comment l’on peut être entraîné dans un abîme dans fond quand on est incapable de faire face à la réalité. Comment expliquer l’incompréhensible et comprendre l’innommable ? C’est à cette question que tente de répondre Emmanuel Carrère. L’Adversaire est une enquête riche et captivante : elle nous montre comment l’on peut réussir à s’enfermer dans le mensonge, à se construire une double vie et à prendre les pires décisions au moment de faire des choix.

Ce livre est un voyage en profondeur dans la nature de l’homme et dans la partie la plus sombre de celle-ci.

« Au cœur des ténèbres, se trouvent les ténèbres du cœur ».

« Remonter ce fleuve, c’était comme voyager en arrière vers les premiers commencements du monde ».

C’est vers ces temps anciens, cachés dans les ténèbres de la jungle congolaise, que Joseph Conrad nous conduit dans ce roman, qui inspira Coppola pour son film Apocalypse now.

D’origine polonaise mais naturalisé anglais, J. Conrad (1857 – 7924) a été très tôt marqué par ce déracinement qui le poussera à embrasser la carrière de capitaine au long cours. Il a également écrit Typhon et Lord Jim qui, à l’instar d’Au cœur des ténèbres, s’inspirent de sa vie de marin.

Au cœur des ténèbres, publié en 1902, raconte le voyage de Marlow, capitaine d’un vapeur et double de l’auteur, qui part à la recherche d’un homme, Kurtz, établit en pleine jungle où il tient un comptoir colonial.

La remontée du fleuve est lente, les mois passent et l’obscurité se fait de plus en plus dense et oppressante. La forêt elle-même paraît animée d’intentions malveillantes : « c’était l’immobilité d’une force implacable appesantie sur une intention inscrutable. Cela vous regardait d’un air vengeur . »

Au terme du voyage, Marlow découvre Kurtz qui semble s’être voué au mal. Il incarne l’excès, la cupidité, le délire de puissance qui subjugue et horrifie Marlow. Son don d’éloquence magique l’a hissé au rang de demi-dieu pour les tribus locales. Cet homme tourmenté, dont les derniers mots seront « Horreur ! Horreur ! », représente la tentation du mal pour Marlow, fasciné par les ténèbres et l’abomination qu’il dégage.

Conrad nous livre ainsi une réflexion sur la part sombre de l’homme. La remontée du fleuve s’avère être une descente aux enfers. Comme le poète de la Divine Comédie de Dante, des étapes scandent l’annonce toujours plus pressante de Kurtz, du mal.

Pour J. Conrad, c’est l’omniprésence et l’intensité du noir qui a précipité Kurtz dans la folie : dans la désolation de la jungle, il a entr’aperçu la Vérité. À la manière de Monsieur V, dans Un Roi sans divertissement de Giono, que l’uniformité du blanc a rendu fou, Kurtz succombe à la pesanteur de l’obscurité et libère un flot de violence originelle.

Thème universel et question atemporelle, l’apparition du mal chez l’homme s’est exprimée en bien des formes sous la plume de nombreux écrivains. Dans ce récit, Conrad réussit à nous livrer une sombre morale de l’existence grâce à une sobriété du style qui laisse éclater la magnificence des mots.


Au cœur des ténèbres, Joseph Conrad

G.F Flammarion

Préfacé et traduit de l’anglai par J.-J. Mayoux.

Jorge Luis Borges


Fictions, Tlön, Uqbar, Orbis Tertius, Jorge Luis Borges

Comme Claude Mauriac le proclame, je pense que « Jorge Luis Borges est l’un des dix, peut être cinq auteurs modernes qu’il est essentiel d’avoir lus ». Comment ce bibliothécaire argentin, écrivain sous la dictature de 1976 a-t-il acquis une telle renommée en France ? Ce n’et pas en publiant des ouvrages interminables, comme l’a fait Gabriel Garcia Marquéz avec Cent ans de solitude, mais en privilégiant le genre de la nouvelle (dont la plus courte tient en quatre pages), bien que ces deux auteurs reconnus appartiennent à la même mouvance dite du « Réalisme magique ». Ce courant littéraire hispano-américain de la deuxième moitié du xxème siècle entremêle fiction merveilleuse et réalité sordide dans des œuvres déroutantes et foisonnantes de détails.

Ce choix délibéré de réduire le développement d’une idée au minimum compréhensible conduit J.L. Borges à écrire le résumé de livres fictifs dans un style dense, élégant, mais non dépourvu d’humour. La force de ses récits, souvent à la première personne, provient non seulement de son érudition mais également des thèmes philosophiques qu’il aborde comme la mort dans Le Miracle secret, le hasard dans La Loterie à Babylone ou la perception du monde qui nous entoure avec la nouvelle fantastique Tlön, Uqbar, Orbis Tertius, issue du recueil Fictions.

Pour résumer cette dernière, J.L.Borges découvre, par l’intermédiaire d’un de ses amis, un exemplaire d’une encyclopédie contenant un article sur le pays d’Uqbar, qui ne figure ni dans le sommaire du volume, ni sur aucune carte ou atlas. Intrigué, le narrateur mène des recherches infructueuses jusqu’au jour où un lointain héritage met entre ses mains le volume XI de l’encyclopédie de Tlön, monde imaginaire dont Uqbar est une région.

« A présent, j’avais sous la main un vaste fragment méthodique de l’histoire totale d’une planète inconnue, avec ses architectures et ses querelles, avec la frayeur de ses mythologies et la rumeur de ses langues… »

Tlön est un univers régi par la pensée idéaliste telle que formulée par le philosophe anglais George Berkeley : la réalité n’existe que tant qu’elle est perçue par un être pensant (ou une présence divine).

Traduit de l’espagnol par P. Verdevoye, Ibarra et Roger Caillois pour l’édition dans la collection Folio du recueil Fictions, Tlön, Uqbar, Orbis Tertius renversera toutes vos idées reçues pour laisser l’infinie étendue des possibles pénétrer votre esprit.

L’Élégance du hérisson de Muriel Barbery, Gallimard, 2006

Une concierge d’un immeuble bourgeois plus lettrée que ses résidents, une adolescente très intelligente sur le point de se suicider : tels sont les personnages que nous présente la quatrième de couverture de ce roman de Muriel Barbery, L’Élégance du hérisson. Quelles sont les origines de ces comportements et quel lien y a-t-il entre les deux ? Voilà les questions que suscite cette présentation chez le lecteur et auxquelles il trouvera les réponses au cours de sa lecture.

Ce roman se compose de deux séries de textes entremêlées écrites à la première personne par Renée, la concierge et Paloma, l’adolescente. Ces deux journaux intimes racontent le quotidien de ces deux narratrices en insistant sur leurs dispositions particulières : l’amour de la culture et de l’érudition pour Renée ; l’intelligence et la lucidité dans l’appréhension du monde pour Paloma. Ce genre littéraire particulier est donc le prétexte pour énumérer un certain nombre de préjugés sur les concierges : « comme je suis rarement aimable, quoique toujours polie, on ne m’aime pas mais on me tolère tout de même parce que je corresponds si bien à ce que la croyance sociale a aggloméré en paradigme de la concierge d’immeuble. » ou de dresser une caricature de la classe bourgeoise : « Tous les matins, au petit déjeuner, papa boit un café et lit le journal. Plusieurs journaux, en fait : Le Monde, Le Figaro, Libération et une fois la semaine, L’Express, Les Échos, Time magazine et Courrier International. Mais je vois bien que sa plus grande satisfaction, c’est la première tasse de café avec Le Monde devant lui. […] Chaque matin, même s’il y a eu une séance nocturne et qu’il n’a dormi que deux heures, il se lève à six heures et lit son journal en buvant son café bien fort. C’est comme ça que papa se bâtit chaque jour. »

Au-delà de ces anecdotes, ce roman décrit l’isolement subi involontairement par ceux qui sont différents des autres et qui tiennent, pour plus de facilité à vivre, à cacher au reste du monde ce qu’ils sont au fond d’eux. Au cours de l’histoire, ce motif se trouve transformé par l’arrivée d’un nouveau personnage, Kakuro Ozu, qui détecte immédiatement chez les deux narratrices leur nature secrète et va tenter de les faire apparaître au grand jour.

Ce deuxième roman de la jeune écrivain Muriel Barbery, publié en 2006, a connu un beau succès, renforcé par l’adaptation cinématographique de 2009. L’alternance des deux journaux offre une lecture très variée entre les réflexions sur l’art, la littérature, la philosophie etc. de Renée et les critiques virulentes de Paloma sur la classe bourgeoise et ses névroses, ses contradictions et ses faux-semblants auxquelles la simplicité et la sagesse de Kakuro apportent une certaine tempérance. La présence de personnages aussi variés permet également un usage multiple de la langue, mettant tantôt en avant le parler populaire, le « verlan » des jeunes et le langage érudit.

Ce livre rend le lecteur plus attentif aux aspirations profondes des autres et à leur véritable être. Même si la fin peut sembler gâcher l’ensemble du livre, elle est néanmoins essentielle pour clore les dispositions actuelles des personnages et leur ouvrir de nouvelles perspectives : « Je me dis que finalement, c’est peut-être ça la vie : beaucoup de désespoir mais aussi quelques moments de beauté où le temps n’est plus le même […] un toujours dans le jamais. »

Salman Rushdie, Luka et le Feu de la vie, collection « Feux Croisés », Plon, 2010

Salman Rushdie est un auteur anglais qui a connu un certain succès avec son chef d’œuvre Les Enfants de minuit. Il s’est aussi fait connaître avec son livre polémique Les Versets sataniques. Il a ensuite continué d’écrire de la littérature pour adultes avec l’histoire de L’Enchanteresse de Florence. Cependant, son dernier livre : Luka et le Feu de la vie pourrait être considéré comme un livre à destination des adolescents car il marque un profond changement de style et de thématique.

En effet, les premières lignes du roman : « Il était une fois, dans la ville de Kahani au pays d’Alifbay, un garçon prénommé Luka qui avait deux compagnons, un ours appelé Chien et un chien appelé Ours », placent directement le lecteur dans l’univers du conte, de la magie mais aussi dans un monde complexe et parodique. Ainsi, Luka, le héros de l’histoire vit paisiblement avec sa mère : Soraya, son père : Rachid Khalifa, un célèbre conteur, et son frère : Haroun. Cependant, une nuit son père s’endort et ne se réveille plus. Luka aperçoit alors la silhouette de son père à l’exterieur de sa maison et sort pour aller le retrouver. Luka se retrouve alors dans un autre monde et fait la connaissance de « Papapersonne », double maléfique de son père. Celui-ci l’informe qu’il existe un moyen de réveiller son père en lui rapportant le « Feu de la vie ». Ainsi, Luka prêt à tout pour sauver son père s’engage dans cette quête accompagné de son chien et de son ours. Dans cet autre monde, ils doivent tout d’abord commencer par gagner des vies pour affronter les épreuves à venir. Ainsi, le lecteur est plongé dans l’univers des jeux vidéos ce qui donne un côté original et ludique au livre. Sur le chemin de la quête du « Feu de la vie », Luka traverse de nombreuses régions comme celle du « Fleuve du Temps », de la « Montagne de la Connaissance »… faisant voyager le lecteur dans un monde imaginaire rempli à la fois de beauté et de noirceur. Il rencontre aussi des personnages qui vont l’aider à valider les différents niveaux du « jeu » dans lequel il est engagé, tels que les « Oiseaux-Mémoire », les « Poissons du Fleuve du Temps », ainsi que « l’Insultane d’Outremont », double de sa mère. Tout au long de son périple, Luka est accompagné de ses deux fidèles compagnons. Ils affrontent ensemble de nombreuses épreuves dont la guerre menée avec « l’Insultane d’Outremont » contre « Crotte-de-Rat » qu’ils vaincront à l’aide de poil à gratter. « Papapersonne » est aussi présent lors des différentes aventures de Luka, mais il s’absente de plus en plus au fur et à mesure que Luka se rapproche de son but. Il va notamment trahir le jeune garçon à la fin de l’histoire, ce qui va compliquer son retour avec le « Feu de la vie » auprès de son père, dans le monde réel. Ainsi, l’histoire s’achève sur le réveil de Rachid Khalifa et le bonheur de toute la famille.

Plus qu’un conte, cette histoire ravi autant les adultes que les adolescents en leur permettant de voyager dans un monde imaginaire faisant de nombreux échos au monde réel. Elle regorge aussi d’humour et de bons sentiments humains permettant ainsi au lecteur de s’évader de la morosité de la vie quotidienne. Enfin, ce livre constitu une véritable mise en lumière de l’amour que peut porter un fils à son père. Il l’exprime de façon simple mais claire et apporte une lueur d’espoir dans une époque où de nombreuses familles se brisent pour des raisons futiles.

Se perdre, pour y voir plus clair

Thomas l’Obscur, Maurice Blanchot

« Il y a, pour tout ouvrage, une infinité de variantes possibles. Aux pages intitulées Thomas l’Obscur, écrites à partir de 1932, remises à l’éditeur en mai 1940, publiées en 1941, la présente version n’ajoute rien, mais elle leur ôte beaucoup, on peut la dire autre et même tout nouvelle, mais aussi toute pareille, si, entre la figure et ce qui en est ou s’en croit le centre, l’on a raison de ne pas distinguer, chaque fois que la figure complète n’exprime elle-même que la recherche d’un centre imaginaire. »

Cette phrase, c’est celle qui ouvre le récit de Maurice Blanchot intitulé Thomas l’Obscur. Avant-propos dont la clarté n’est pas la plus flagrante des qualités, il a le mérite d’annoncer la tonalité de l’ouvrage.

Qui est Maurice Blanchot ? Romancier, critique, écrivain engagé contre l’antisémitisme et l’extrême droite, il laisse à sa mort en 2003 une œuvre conséquente. Si l’écrivain est plus connu pour ses ouvrages de critique littéraire, ce premier roman de Blanchot contient en germe toute la réflexion à venir de l’auteur de L’Espace littéraire .

Difficile de résumer l’intrigue de Thomas l’Obscur. Peut-on seulement parler d’intrigue ? Minimal, le récit ne compte que deux personnages : Thomas et Anne sont comme deux fantômes, et s’il n’est question que d’eux, on n’a pas moins l’impression d’avoir affaire à deux ombres esseulées. Chaque page est hantée par la mort, une thématique chère à Blanchot. Texte sur l’impossible communication entre deux êtres, Thomas l’Obscur sème le trouble. Thomas et Anne, attirés l’un par l’autre, mais incapables de mettre des mots sur ce feu qui les anime partagent tous les deux une fascination pour la mort. D’ailleurs, Anne finit par tomber malade, sans que l’on sache vraiment de quoi elle souffre. Toujours est-il qu’elle semble se complaire dans cette posture de mourante, partagée entre la grâce de cette situation et la hâte de rejoindre ce silence apaisant que représente la mort à ses yeux.

Blanchot prend un malin plaisir à déboussoler le lecteur. Ce faisant, il démontre avec un talent certain l’incapacité des mots à dire, à exprimer avec précision ce que ressentent les personnages. Paradoxalement il trouve les mots justes, pour ensuite mieux montrer leur futilité. Cette alchimie littéraire, Blanchot y parvient en mêlant des phrases à la polarité neutre, comme désactivées – « Elle était Anne, n’ayant plus aucune similitude avec Anne » – à des formules où la poésie côtoie l’absurde, pour créer une vérité toute personnelle, celle de l’univers de l’écriture : « Je fus donc le seul cadavre de l’humanité. »

Insondable autant qu’hypnotique, Thomas l’Obscur prend des risques : ni l’intrigue, ni l’interaction entre les personnages n’a réellement d’importance. D’un autre côté, le récit s’éloigne de toute prétention purement méditative. Thomas nous met en garde : « Je pense donc je ne suis pas. »

Assécher la langue ne suffirait pas à trouver les mots justes pour parler du silence. C’est ce que l’on retiendra du récit de Maurice Blanchot.

Malavita encore, de Tonino Benacquista, Gallimard, 2008. (suite de Malavita, Gallimard, 2004)

Fred Blake (alias Giovanni Manzoni, repenti de la Cosa Nostra) et sa famille détraquée sont de retour pour de nouvelles frasques !

Toujours soumise au programme de protection des témoins du FBI depuis que Giovanni a balancé ses collègues de la mafia new-yorkaise dix ans plus tôt, la famille a été rebaptisée Wayne et relogée après ses exploits en Normandie racontés dans Malavita. Les choses ont bien changé depuis ces premières aventures. Les enfants, Belle et Warren, ont grandi et se sont éloignés de leur mafieux de père, jusqu’à ce que le secret familial resurgisse à des moments-clefs de leurs existences. Maggie, l’épouse fidèle, passe dorénavant toutes ses semaines à Paris pour y maintenir à flot sa jeune entreprise menacée par un concurrent sans scrupule. Et au milieu de tout ça, Fred, l’affranchi repenti devenu écrivain, se perd dans des interrogations artistiques et existentielles, une solitude nouvelle et une envie toujours intacte de pourrir la vie de l’agent chargé de sa protection.
Tonino Benacquista est né en 1961. Il a commencé sa carrière d’écrivain en 1989 et a connu son premier grand succès en 1997 avec Saga. Benacquista a notamment écrit de nombreux romans noirs, mais aussi des scénarios de BD et de films, dont ceux de Sur mes lèvres et De battre mon cœur s’est arrêté, co-écrits avec Jacques Audiard. En 2004, il a donné naissance à l’inénarrable famille Blake dans Malavita et nous révèle quatre ans plus tard la suite des aventures de Fred, Maggie, Belle et Warren dans ce roman jubilatoire logiquement intitulé Malavita encore.

Comme dans le premier tome, Benacquista s’amuse à balader ses attachants personnages au gré de ses envies. Péripéties rocambolesques et parfois peu réalistes s’enchaînent sans que jamais le lecteur ne se sente mis à distance ou perdu. On a beau savoir qu’il est peu probable qu’un agent du FBI se soumette aux exigences farfelues de la fille d’un repenti, on se laisse entraîner dans l’aventure, convaincu par les portraits psychologiques et les relations entre les personnages que Benacquista a si bien mis en place.
Mais surtout on se réjouit, comme l’auteur semble-t-il, de retrouver l’anti-héroïque Fred Blake, patriarche psychopathe qui, s’étant pris de passion pour une vieille machine à écrire quelques années plus tôt, s’est mis en tête d’écrire enfin son « grand roman américain », lui qui n’a jamais lu un seul livre et ne sait raconter que les boucheries auxquelles il a participé dans sa vie antérieure. Confronté à l’éloignement de sa famille, il se révèle touchant sans pour autant perdre de sa célèbre roublardise. Il faut dire qu’en face l’adversaire est de taille, puisque Tom Quint, meilleur ennemi de Fred, est toujours en charge de la famille au bureau du FBI…

Jusqu’à la surprise du dénouement on se délecte des aventures de cette famille décidément dérangée, et on se prend à espérer la publication prochaine d’un Malavita encore…et toujours.

La Porte des Enfers. Laurent Gaudé. Actes Sud. 2008


Que feriez-vous si la porte des Enfers
était devant vous ?

C'est l'histoire de Filippo, un jeune homme hanté par des cauchemars ressemblant aux Enfers, mais s'agit-il de cauchemars ou de souvenirs ? «Je bois doucement le café qui fume encore. Je n'ai pas peur. Je reviens des Enfers. Qu'y a-t-il à craindre de plus que cela ?». Tout arrive lors d'une fusillade en 1980 dans la ville de Naples, un père de famille, Matteo, voit le pire arriver : son petit garçon de 6 ans, Filippo, succombe sous le feu des balles. Matteo s'enfonce alors petit à petit dans les ténèbres, errant au volant de son taxi dans la nuit, jusqu'au moment où il pousse la porte d'un petit café du centre. Il y rencontre le patron, Garibaldo, Grace, une vieille prostituée, le truculent curé don Mazerotti et l'étrange professeur Provolne. Ce dernier prétend que des portes permettent de pénétrer dans l'Au-Delà, si la plupart sont condamnées, une dernière existe encore, à Naples. Ce père désespéré décide alors l'impossible : d'aller chercher son enfant là d'où aucun être n'est jamais ressorti. Mais cela a un prix : pour que le fils revienne, le père doit disparaître, «Elle ne te laissera pas ressortir. Tu lui voles une ombre, elle réclame une vie en échange». Vingt-deux ans plus tard, l'heure de la vengeance a sonné, ce fils revenu des Enfers veut faire payer à ceux qui ont participé à cette fatidique fusillade, à ceux qui ont poussé son père à se sacrifier.

Dans un roman sombre, abordant le thème douloureux qu'est la perte d'un enfant, Laurent Gaudé nous propose un «voyage». Un voyage au-delà de ce que nous connaissons, où la volonté et l'amour d'un père contredisent le destin et la mort. Le deuil est abordé par le truchement d'un des mythes de l'Humanité : une porte conduisant aux Enfers. Grâce à une histoire forte, l'auteur réussi à nous faire ressentir cette perte douloureuse, omniprésente et sans fin. Dans un style sombre, Laurent Gaudé nous transporte dans cette lutte contre la mort, nous tenant en haleine jusqu'à la dernière page.

Laurent Gaudé est un romancier et dramaturge français né en 1972. Il a reçu le prix Goncourt en 2004 pour Le Soleil des Scorta. La Porte des Enfers est son 5e roman après Cris, La Mort du roi Tsongor, Le Soleil des Scorta et Eldorado. Ecrivain prolifique, il a également écrit des pièces de théâtre, des nouvelles, des albums jeunesse et participé à l'élaboration d'un beau-livre.


O.N.G !, Iegor Gran (P.O.L, 2003)

Un immeuble, quelque part en France. Un jeune stagiaire se retrouve témoin d'une guerre entre deux O.N.G, la Foulée verte dont il fait partie, et Enfance et vaccin, les ennemis voisins. Un étage chacune, il s'agira pour l’une d'asseoir son pouvoir bio et pour l’autre d'exercer son influence humanitaire. Tous les coups bas sont permis, de la dégradation des affiches d'enfants lépreux à la destruction des vélos écolos.
Grand prix de l’humour noir en 2003, O.N.G ! de Iegor Gran est un roman qui mélange la naïveté du narrateur au ton acerbe d’une moquerie goguenarde, d’un regard ironique sur les « combats » altruistes des O.N.G, qui se transforment finalement en luttes intestines.
Julien, ce stagiaire bègue, agit pense et vit sous l’égide d’Ulis, gourou de la Foulée verte (« le feng-shui est nord ouest », « ce qu’il nous faudrait pour nous réveiller c’est qu’un millier de baleines viennent mourir sur nos côtes ») ; il se retient de tomber amoureux du bras droit d’Ulis, Celsa, pour qui ce sentiment serait une preuve de plus du sexisme ambiant. Une myriade de bénévoles vient compléter l’équipe verte face aux « maquerelles » d’Enfance et vaccin, capitalistes forcenées et dépersonnalisées (elles sont les « Vaccins »).
Influençable, ce narrateur particulier l’est au plus haut point : il fait siennes les valeurs politiquement correctes de l’O.N.G, partant du même coup en guerre contre ses parents, d’affreux « mini-bourgeois ». Il y a donc « nous », la Foulée verte, et « eux », Enfance et vaccin. Les causes écologistes ou humanitaires deviennent des outils d’attaque : « Face de pingouin » versus « Croûtes purulentes ».
Hiérarchiser les luttes (les pingouins sont-ils plus importants que les lépreux ?), développer une idéologie (« être bio dans son corps », « trouve[r] une place dans le cosmos »), ces entreprises portées par la vague humaniste actuelle sont pulvérisées sous la plume de Iegor Gran en poussières d’ego, d’orgueil mal placé. Son style est jouissif : sa langue est une hybridation d’un langage qui se veut décomplexé (« Grave mortel »), d’une tendance contemporaine au slogan (« C’est beau c’est bio »), sans pour autant se départir d’une élégance ironique (« Le piège se refermait sur nous. Le collectif de nos rêves s’envolait »).
C’est donc une tyrannie bien-pensante que fustige l’auteur, qui récidive cette année avec L’Écologie en bas de chez vous.
Né à Moscou, Iegor Gran est arrivé en France à l’âge de dix ans. Il y suit une scolarité difficile, puis, il l’écrit sur le site de son éditeur, « par désespoir, fait l’École Centrale. Par goût, fait autre chose ». Cette autre chose, la littérature, il la « fait » avec un talent certain. Il a publié neuf livres chez P.O.L entre 1998 et 2011. Que ce soit le Goncourt (Le Truoc-nog), le diplôme du bac (Ipso facto) ou encore les O.N.G, Gran s’attaque à décrire des éléments constitutifs et emblématiques de notre société et à les démonter dans des scénarii qui transcendent leur absurdité.

mercredi 16 mars 2011

Pièces importantes et effets personnels de la collection Lenore Doolan et Harold Morris, comprenant livres, prêt-à-porter et bijoux

Qui a souvent dévidé l’écheveau de ses souvenirs en contemplant un objet autrefois chéri, ne saura résister à cette bizarrerie littéraire intitulée Pièces importantes et effets personnels de la collection Lenore Doolan et Harold Morris, comprenant livres, prêt-à-porter et bijoux. Cet étrange catalogue de ventes aux enchères retrace la relation tumultueuse d’un couple de « bobos » new-yorkais au début du vingt-et-unième siècle.

À travers leurs effets personnels, panoplie d’objets fétiches, hétéroclites - correspondances, livres, vêtements, moules à pâtisserie, nécessaire de voyage… - déclinés sous la forme de photographies noir et blanc, se dessine en creux l’architecture d’un curieux roman.

De la réification de cette liaison naît le plaisir infini de la reconnaissance et de la reconstruction : ces reproductions froides presque cliniques, obéissant aux contraintes photographiques du catalogue d’exposition, obligent le lecteur à un subtil et ludique travail de création.

L’œil musarde, s’attarde au gré des cartels qui émaillent le catalogue de cette liaison. L’intimité quotidienne des protagonistes, riche en références littéraires et musicales nourrit l’imaginaire du lecteur en faisant écho à son propre univers.

De la cristallisation des premiers instants, aux atermoiements et aux déchirures des derniers jours, Leanne Shapton démêle les gradations de la passion jusqu’à l’entropie finale de leur amour.

Corniche Kennedy de Maylis de Kerangal

Une bande d’adolescents, désoeuvrés et inconscients du danger, ont élu domicile sur « la Plate ». C’est comme ça qu’ils l’appellent, cet espace à flanc de falaise entre mer et autoroute d’où ils plongent sept ou douze mètres plus bas. Ils ont le goût de l’interdit et des sensations fortes. Très vite un trio se forme entre Eddy le Bégé (pour beau gosse), Mario, son bras droit et Suzanne, la seule à venir des beaux quartiers.
Sur les hauteurs de la ville, un policier les observe. Responsable de la sécurité de la côte, il est chargé de mettre fin à ces pratiques. Le maire a décrété la « tolérance zéro » et c’est à lui de faire appliquer le nouveau règlement.
L’histoire se noue peu à peu, les défis sont de plus en plus risqués et le bras de fer se tend entre flic et voyous. Les choses prennent un tournant dangereux…

Par un habile jeu de point de vue, Maylis de Kerangal construit l’intrigue de son roman autour de « La Plate ». Les personnages y entrent comme sur la scène d’un théâtre. On ne sait rien d’eux, ou presque, en dehors de ce qui se passe sur la corniche. Comme si une caméra était fixée sur ce lieu dont personne ne voudrait. L’auteur empreinte beaucoup au cinéma et on est pas étonné d’apprendre que les droits ont déjà été acquis pour l’adaptation cinématographique.

Ces gosses, libres et solaires, ne pensent qu’au bonheur d’être ensemble et aux sensations qu’ils éprouvent à se jeter dans la mer. Maylis de Kerangal marque le rythme fort et brutal de son roman par des phrases longues, mélangeant dialogues et descriptions.

Corniche Kennedy est le quatrième roman publié par Maylis de Kerangal, elle a obtenu le prix Médicis en 2010 pour Naissance d’un pont et vient de publier un libre pour enfants, Nina et les oreillers aux éditions Hélium.

Nana de Zola

Nana vient du ruisseau. C'est là qu'elle a connu ses premières expériences sexuelles et elle en a conçu un total mépris pour les hommes. Engagée au théâtre des variétés où on lui demande avant tout de monter ses charmes, Nana accède immédiatement par son pouvoir érotique, au succès.
Sa vie sera un défilé d'amants qu'elle se plaît à maltraiter. Nana est une catastrophe pour les hommes qu'elle rencontre. Elle est strictement amorale et détruit, sans même s'en rendre compte, sa propre vie comme la vie des autres. C'est une véritable femme fatale.
«La Mouche d'or», contraste entre le luxe et l'ordure, est trop fascinante pour qu'on puisse la juger.
Portrait emblématique d'une époque (celle de la Païva et de la Goulue), Zola nous offre un tableau à la Toulouse-Lautrec.
Ce sujet populaire évoquant le monde du spectacle et toute la société bigarrée qui grouille autour va tout naturellement vers l'image, autrement dit, vers le cinéma ou la télévision.
Ce roman qui se passe dans le milieu du bastringue ferait également une brillante comédie musicale.

Ce qu'aimer veut dire de Matthieu Lindon

Ce qu’aimer veut dire, de Matthieu Lindon. Editions P.O.L, 2011

Matthieu Lindon a-t-il trouvé comment conjuguer le verbe aimer ?

Le superbe titre de son dernier opus, Ce qu’aimer veut dire, affirme du moins qu’il en a compris le sens. A la lumière de l’expérience et du vécu, à la croisée de l’affection filiale et de l’attachement amical, Lindon tisse la trame de son existence et rend hommage à ceux qui ont croisé sa route et ont fait de lui l’homme qu’il est devenu.

Comment cet adolescent introverti et asocial, plongé dans ses lectures pour peupler sa solitude douloureuse, a-t-il pu échapper à ce marasme et se retrouver à l’abri sous l’ombre tutélaire du philosophe Michel Foucault, éclairé par l’amitié solaire d’Hervé Guibert ? C’est le point de départ du livre mais aussi son aboutissement.

Car c’est d’amour dont il s’agit dans ce récit autobiographique. L’amour pour le père Jérôme Lindon, figure immense, protectrice et envahissante à la fois, dont il faut se démarquer. L’amour-amitié pour Michel Foucault, figure centrale du livre : c’est lui le père idéal, la présence généreuse et rassurante, celui qui permet à Matthieu de grandir enfin, celui qui lui apprend « ce qu’aimer veut dire ».

Que reste-il après la disparition inexorable de ces deux pères et du pair, ou plutôt du frère, Hervé Guibert ? D’abord un grand vide, une grande angoisse, une peur d’un retour à la solitude originelle. Et puis peu à peu une force et une richesse inaltérables : « Au fil des années, après qu’elle eut été à deux doigts de ne pas, la mort de Michel m’avait laissé plus vivant que jamais… »

Réfugiés climatiques, Collectif Argos. Dominique Carré Editeur, 2010.

La question du réchauffement climatique fait débat depuis un certain nombre d’années. Nous en connaissons tous plus moins les effets : étés pluvieux, catastrophes naturelles de plus en plus nombreuses - tornades, tempêtes et autres cyclones - , fonte de la calotte glaciaire, canicules… Mais le problème majeur, celui auquel nous pensons le moins souvent, est le sort des populations contraintes à l’exil. C’est l’angle de travail choisi en 2004 par le collectif Argos, collectif créé par onze photographes et journalistes français.

Réfugiés climatiques est le fruit d’une série de rencontres, réalisées dans différentes parties du monde, avec des populations victimes des conséquences du réchauffement de la planète.

Textes et photos nous plongent au cœur de leur quotidien et de leurs combats. Ici, pas de misérabilisme, juste des fragments d’humanité, des constats, et ce soupçon d’inexorable qui donne à l’ouvrage une réelle mélancolie. La force du livre c’est cette intensité de vie dans laquelle il nous plonge, où chaque histoire personnelle, transmise par des témoignages et des textes écrits par les journalistes avec le souci du vécu, devient histoire universelle. De l’Alaska à la Nouvelle-Orléans en passant par le Tchad, le Bangladesh, la Chine et le Népal tous se racontent, décrivent ce même sentiment, cette même peur face à l’avenir. Partir, c’est inévitable mais pour aller où ? À travers les photographies, ce sont les mêmes sourires, les mêmes jeux d’enfants, le même attachement à la nature qui les entoure, les fait vivre et les expulse peu à peu. Certaines photos appuient de manière impressionnante les témoignages qui les accompagnent. A Shishmaref, en Alaska, Mina Weyiouanna pose devant sa maison couchée sur le flanc faisant écho au témoignage de Joe Braach, le directeur de l’école du village : « Lorsque j’ai vu le sémaphore basculer brusquement dans la mer, j’ai compris que ma maison allait le suivre. J’ai éprouvé un sentiment curieux : de la panique, du calme aussi. Il fallait agir vite. Le vent et les vagues ne nous laissaient plus le temps d’hésiter. En quelques minutes, une chaîne humaine s’est formée pour m’aider à vider la maison dans les bourrasques et le froid. A Shishmaref, les gens sont très solidaires. L’air de rien, ils se serrent les coudes, conscients d’être tous confrontés à la même fatalité. Une heure a suffi pour mettre à l’abri l’essentiel de mes affaires. Entre-temps, la mer avait avalé les deux derniers mètres de terre qui la séparaient de la maison. Dessous, les vagues creusaient déjà le permafrost…  »

Ouvrage passionnant, aussi beau qu’instructif, Réfugiés climatiques nous oblige à prendre conscience des effets de nos modes de vie sur les autres, ceux qui vivent loin de nous, différemment de nous mais avec qui nous devrons partager des territoires se réduisant peu à peu.

Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants


De Mathias Enard

Avez-vous lu Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants de Mathias Enard ? Avec ce court roman, publié chez Actes Sud, Mathias Enard nous conte, avec brio, les péripéties que le célèbre Michel-Ange connu à Constantinople, auprès du sultan Bajazet. Ce dernier, en effet, invita le sculpteur à venir réaliser, dans sa bonne vieille ville de Constantinople, un pont. Michel-Ange, après avoir été chassé par les hommes du pape Jules II, se trouvant disponible accepte l’invitation. Et le voici, le 13 mai 1506, débarquant dans la ville du sultan Bajazet. Commence alors pour lui, une sorte de voyage initiatique à travers les beautés du monde ottoman. Guidé par le poète Mésihi, il découvrira les tavernes de Constantinople, sera captivé par une jolie chanteuse et fera connaissance d’Arslan, un personnage énigmatique, navigant en eau trouble entre Orient et Occident…

Mathias Enard, avec Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, captive son lecteur et l’invite au voyage. Un de ces voyages qui ne nous laisse pas indifférent ! Mathias Enard, en effet, invite non seulement son lecteur à vivre au côté d’un des plus grands artistes de la Renaissance mais aussi à découvrir, en même temps que son héros, les us et coutumes du monde ottoman. Ainsi, le lecteur se trouve en compagnie de Michel-Ange lorsque celui-ci se retrouve : « dans la solitude désemparée de celui qui ignore tout de la langue, des codes, des usages de la réunion à laquelle il prend part. » Mathias Enard signe ici un roman historique, écrit dans un style simple mais efficace.

Mathias Enard, pour ceux qui ne le connaissent pas encore, est né en 1972. Il a étudié le persan et l’arabe, fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il a déjà publié trois romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2005), Remonter l’Orénoque (2005) et Zone (2008).

Alain.


L'ÉTABLI de Robert Linhart

Mai 68 s’inscrit dans nos mémoires comme un élan de solidarité entre étudiants et ouvriers.

En effet, ils furent quelques dizaines puis quelques milliers à faire le choix de quitter la vie intellectuelle pour vivre aux côtés d’ouvriers… On les appelle alors « les établis » !

Robert Linhart, figure emblématique de l’Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes, nous ouvre ici les portes d’une des grandes usines de Citroën de Choisy où il entre comme ouvrier spécialisé en mai 1967.

On découvre alors le microcosme de l’usine : les chefs puants comme Huguet et Dupré, Mouloud, l’Arabe, les Yougoslaves, Pavel, Georges et Stepan… Linhart se retrouve confronter à la fatigue, au racisme, à la cadence infernale de la machine et à la difficulté de faire naître un mouvement de révolte.

À travers son regard quotidien, Linhart nous offre un poignant témoignage sur la réalité des conditions de vie à l’usine et pose ainsi la question de l’annihilation de l’homme face à la terrible machine.

Par un habile jeu d’écriture, Linhart imite parfaitement le rythme du travail à la chaîne : « Gémissement de la chaîne qui redémarre, avec son cliquetis de crochets, les grincements de ses engrenages – toutes ces machines qui vibrent sous nos pieds - […] Gerbes d’étincelles. Flammes des chalumeaux. Coups de marteaux. Coups de poinçons. Raclement de limes. »

Il nous livre ici un beau récit de couleur grise, à l’odeur de cambouis et au son des roulis des machines.

Il s’agit là d’un ouvrage marquant et incontournable sur les années 60 qui reste toujours d’actualité !

À ce sujet, soulignons le récent documentaire de Virginie Linhart, Mai 68, mes parents et moi, sur le combat de son père et de toute une génération.

La Passion Lippi, Sophie Chauveau, Gallimard, Folio, 2006

En visitant la galerie des Offices, vous êtes subjugués par la beauté d’une toile représentant une Vierge à l’enfant et deux anges. La majesté du profil suscite l’envie de savoir qui est le modèle qui a inspiré l’artiste. Cette Madone à l’enfant, d’une beauté époustouflante, peinte par Filippo Lippi, ne peut que susciter la curiosité d’un spectateur touché par l’infinie grâce de ce tableau florentin… C’est sans doute cette douceur éblouissante qui a poussé Sophie Chauveau à écrire une biographie romancée de l’élève de Fra Angelico.

Le roman débute dans une rue de Florence, en 1414 alors que Cosme de Médicis arpente les bas quartiers de sa ville, il croise un enfant prodige qui dessine, à même le sol, une fresque remarquable… Le jeune garçon âgé de huit ans devient le protégé de ce mécène qui le confie au peintre Guido di Pietro, au couvent des Carmes. Élève assidu du maître la journée, il fréquente les lieux de plaisir de Florence la nuit. Il devient le petit prince de ces filles parce qu’ « il a de l'or dans les mains et un si grand ciel bleu dans les yeux. C'est pour ce bleu-là, qu'il distribue avec une ferveur généreuse, que les bordels lui sont grands ouverts ». En guise de rémunération, il peint des fresques magnifiques dont l'érotisme et la virtuosité suscitent bien des curiosités. Les filles de joie deviennent les modèles de ces madones. Toutes, il les fait rêver comme on n'a pas le droit quand on est pauvre. Mais c’est une nonne angélique, Lucrezia, qui devient sa muse. Leurs amours illicites les obligent à fuir les interdits de la société séculière.

Quatre années de travail ont permis à Sophie Chauveau de retracer le parcours de celui qui invente un nouveau rapport entre l’art et le monde de l’argent, faisant passer les peintres du statut d’artisan à celui d’artiste. La Passion Lippi est le premier volet d’un triptyque sur la peinture italienne de la Renaissance. Suivent Le Rêve Botticelli, élève de Lippi, et L’Obsession Vinci.

samedi 12 mars 2011

Le soleil brûlant, les flamboyants et les fuites urinaires.

Trois femmes puissantes, le dernier roman de Marie N’Diaye (Gallimard, 2009).

Le soleil brûlant, les flamboyants et les fuites urinaires sont les ingrédients explosifs du roman Trois femmes puissantes. Après avoir remporté le prix Femina en 2001 avec Rosie Carpe Marie N’Diaye présente aux lecteurs son nouveau chef-d’œuvre. Ce roman en trois parties regroupe autant de destins inoubliables de femmes africaines. Le surnaturel y côtoie le concret des problèmes de santé avec l’allégresse. Le lecteur découvre l’intimité de chaque héros s’il le veuille ou pas. Des fuites urinaires, des hémorroïdes, une plaie, ces problèmes médicaux quotidiens pourraient disqualifier les personnages aux yeux du lecteur, mais le processus inverse s’installe. Le lecteur en devient d’autant plus proche.

Marie N’Diaye crée un monde à la limite du réel avec les personnages bouleversants qui apparaissent furtivement dans une partie pour partager leur destin avec le lecteur des dizaines de pages plus loin. Comme le titre l’indique cet univers rempli de personnages est dominé par trois femmes qui se battent au quotidien pour s’approcher du bonheur.

Le roman s’ouvre sur l’arrivé de Norah en Afrique qui vient rendre visite à son père. Au fil de sa narration on découvre leur relation compliquée. Son père qui niche dans un flamboyant devant la maison a toujours préféré ses frères à elle. Ils ne s’étaient pas vus ni parlés depuis que Norah est partie en Europe. Elle y a fondé sa famille et devenue avocat. À présent son père l’a rappelé et elle n’apprend que très tard pourquoi : son demi-frère Sony est en prison...

Trois femmes puissantes est un triptyque émouvant qui évite le pathétique. Il est écrit soigneusement en utilisant un vocabulaire atypique et élégant en même temps. Un lecteur non-initié pourrait avoir des difficultés avec certains mots rares et ceux qui se référent à l’univers africain.

Vu sa thématique ce triptyque enthousiasmera les personnes qui s’intéressent à la problématique africaine et/ou féminine. Le titre pourrait fait croire que ce roman est destiné uniquement aux femmes, mais que nenni. En effet, le segment le plus long, celui du milieu, est narré du point de vue du mari de la héroïne. L’histoire est captivante et elle se situe à la limite du roman policier et du roman psychologique. Trois femmes puissantes est un roman pour tous, chacun y trouve un personnage à qui il peut s’identifier. Cet art d’assemblage et de rapprochement des sujets éloignés propre à l’écrivain promet une lecture fine et agréable.

mercredi 9 mars 2011

Naufrages d’Akira Yoshimura

L’histoire se passe dans un Japon complètement intemporel, dans un village de pêcheurs très pauvre. Isaku n’a que neuf ans lorsque son père part se louer dans un bourg lointain. Il se retrouve alors chef de famille et doit prendre en charge sa mère et ses frères et sœurs. Sa mère l’envoie pêcher. Isaku s’initie alors à la pêche aux poulpes, aux encornets et aux maquereaux. Un jour, les pêcheurs du village lui révèlent le secret ancestral du village : les soirs de tempête, de grands feux sont allumés sur la plage, dans l’espoir qu’un navire chargé de riz vienne s’échouer sur les rochers. lorsque les pêcheurs du village mettent la main sur une cargaison de riz, ce sont des provisions assurées pour plusieurs mois.

Un jour, enfin, un navire échoue, avec une pleine cargaison de riz à bord, que la communauté du village se répartit équitablement. Ce sont ainsi des provisions assurées pour plusieurs mois.

Le prix à payer pour le village sera lourd…

Ce conte philosophique, rude et tragique, est plein de poésie et de mélancolie. Les personnages acceptent leur sort, la faim, le froid, la fatigue, la douleur, sans jamais se révolter, à l’image d’Isaku, dont le seul espoir est que son père soit fier de lui lorsqu’il reviendra.

Ce conte est à resituer dans une contrée reculée d’un Japon primitif.

L’écriture est sobre ; elle s’accorde pleinement avec le rythme des saisons et la vie de ces gens simples. L’auteur fait une fine description de leur vie quotidienne, comme dans ce passage : « Isaku prit une gorgée de saké. Il voulait être un pêcheur accompli pour le retour de son père. Il voulait être fort, être capable de soulever facilement un sac de riz. L’ivresse le gagnait et tout se mit à tanguer devant ses yeux. Il termina son saké d’un seul coup, et, titubant, alla s’affaler sur sa natte. Il plongea aussitôt dans un profond sommeil ».

Roman traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle

Françoise Le clerre Shavandi

ASC

Verre cassé. Alain Mabanckou (Seuil 2005)

Verre cassé, Alain Mabanckou (Seuil 2005)
« Disons que le patron du bar Le Crédit a voyagé m’a remis un cahier que je dois remplir, et il croit dur comme fer que moi, Verre Cassé, je peux pondre un livre… » ainsi commence cette plongée au cœur d’une Afrique truculente et enjouée chère à Alain Mabanckou.
Tel un griot, l’auteur nous conte l’histoire d’un bar malfamé de Brazzaville dans lequel le patron a confié à son plus fidèle client, Verre Cassé, le soin d’immortaliser les histoires héroïcomiques des habités qui le fréquentent.
Ce roman de plus de 200 pages se présente comme un long monologue à la fois de son héros, mais aussi de toute la troupe d’éclopés qui vont, tour à tour, se confier à lui ; l’absence de points, remplacés par des virgules, donne à la narration un ton résolument oral et rythmé.
Dans un style léger et comique, Alain Mabanckou aborde plus sérieusement l’importante question de la transmission. L’escargot entêté, le patron du bar, pense que ses compatriotes n’ont pas « le sens de la conservation de la mémoire, que l’époque des histoires que racontait la grand mère grabataire est finie, que l’heure est désormais à l’écrit parce que c’est ce qui reste, la parole c’est de la fumée noire, du pipi de chat sauvage ».
Né au Congo-Brazzaville en 1966, Alain Mabanckou enseigne aujourd’hui la littérature francophone à l’université de Californie-Los Angeles. Il a reçu pour cet ouvrage le prix des Cinq Continents de la Francophonie, le prix Ouest-France/ Étonnants voyageurs ainsi que le prix RFO du livre.

La Communauté du Sud : quand le danger rôde de Charlaine Harris

« Une pinte de Tru Blood ! Une ! », telle est la requête que Sookie Stackhouse adresse quotidiennement à ses collègues barmaid du Merlotte, petit bar interlope poisseux de Bontemps. Le Tru Blood, c’est le nectar sanguinolent plébiscité par les vampires qui peuplent ce coin retiré de Louisiane. Moyennement tolérées par leurs contemporains humains, ces créatures aux crocs acérés ternissent encore leur réputation lorsque l’une d’entre elles entreprend de décimer toutes les serveuses du Merlotte. Un dilemme cornélien fait alors jour dans le cœur de Sookie, tiraillée entre l’amour des siens et la passion effrénée qu’elle entretient pour Bill Compton, son vampire ténébreux.

Spécialiste des romans panachant sentiments et paranormal, Charlaine Harris dresse, dans La Communauté du Sud, le décor d’une Amérique étouffée par ses principes qui ne laisse aucune place à la tolérance et à l’acceptation d’autrui. Elle fait le choix de situer son histoire à proximité de la Nouvelle-Orléans où se mêle une multitude d’individus aux origines variées. Les vampires, eux, constituent un groupe d’individus hors normes en décalage avec les humains : la peur engendrée par les vampires incite les vivants à les rejeter, pire à les éradiquer. Cependant, nombreux sont les vampires souhaitant s’intégrer socialement, d’où le lancement du fameux breuvage Tru Blood, véritable invitation à un substitut de repas décliné selon des saveurs en adéquation avec les groupes et rhésus sanguins humains. Malgré cette bonne volonté, la tension reste omniprésente et Harris narre des conflits perpétuels entre deux clans opposés qui peuvent résonner comme une dénonciation envers les guerres qui tiennent bien souvent, encore aujourd’hui, le devant de la scène.

Faisant figure de précurseur de la déferlante récente de la « bit lit », littérature vampirique, cette fantastique saga, initiée en 2001 et toujours en cours, ne dénombre pas moins déjà d’une dizaine de tomes. L’écriture de Harris transcrit avec brio la moiteur latente inhérente à la Louisiane doublée d’un environnement glauque, aux accents vaudous, à mille lieues de Twilight qui propose un scénario proche quoique ultra édulcoré. La Communauté du Sud remporte aujourd’hui un vif succès, renforcé par la consécration qui lui a été faite sous forme d’adaptation récente (2008) en série télévisée « True Blood », réalisée par le créateur de « Six Feet Under ».


Charles MAUGER - AS C

Pourquoi j'ai mangé mon père. Roy Lewis

Pourquoi j’ai mangé mon père. Roy Lewis.

Roman traduit de l’anglais par Vercors et Rita Barisse, préfacé par Vercors.

Titre original : The Evolution Man

Actes Sud, collection Babel, 1990.


Qu’est-ce qui a pu passer par la tête de nos ancêtres quand ils ont découvert comment tailler des silex, inventer le feu, faire cuire les aliments ou dessiner sur des parois ? C’est le défi que relève brillamment et avec humour Roy Lewis, l’auteur de ce roman en forme de cours improbable d’ethnologie, et de parcours initiatique d’une grande modernité.

Ernest, jeune homo sapiens tout juste sorti de l’enfance, fait son apprentissage de la vie, ou plutôt de la survie, parmi les bêtes féroces qui peuplent son quotidien. Il suit, pour ce faire, les enseignements de son père, Edouard, qui ne rêve que de passer à l’étape suivante de l’évolution, et qui pousse activement ses enfants à anticiper les progrès de demain ; il confronte ses expériences à celles de sa mère, de ses frères, et surtout de son oncle Vania qui semble se refuser à toute évolution… Les tensions au sein de la famille se cristallisent quand on commence à deviner que le feu pourrait bien se domestiquer…

Dans un style enlevé, l’auteur nous fait pénétrer la psychologie de personnalités aussi variées qu’un progressiste, un écologiste avant l’heure quelque peu réactionnaire, une mère économe, des enfants et adolescents, tantôt frileux, tantôt intrépides, bref nous brosse une galerie de personnages qui pourraient être nos contemporains, parlant comme nous, avec nos tics de langage, nos inquiétudes existentielles et nos grands espoirs ; un discours où l’humour est toujours présent, et qui nous enseigne beaucoup sur la vie qu’ont pu connaître nos prédecesseurs.

« - Mais quoi, p’pa ? objectai-je. La combustion spontanée, ça n’existe pas. Ou alors c’est de la magie.

- Et ça, espèce de lémuroïde ? dit père. Regarde-moi ça ! Tu ne t’es jamais demandé ce que c’était, ça ?

Il me montrait les étincelles qui, de temps à autre, s’envolaient du silex que Tobie travaillait. Mais l’idée de comparer, à la tempête chaude et furieuse de nos brasiers, ces froides lucioles mort-nées, ne me serait jamais venue ! C’était comme comparer une chenille à un mammouth. »

Journaliste, sociologue et romancier , Roy Lewis (1913-1996) est l’auteur de Mr Gladstone et la demi-mondaine et de La Véritable Histoire du dernier roi socialiste, publiés chez Actes Sud en 1993.

Anne-Laure Tissier

A Walk in the Woods de Bill Bryson

Encore une fois, le très sympathique Bill Bryson nous invite à partir en voyage en sa compagnie expérimentée et avertie. Voici le meilleur conseil que je puisse vous donner : glissez-vous clandestinement dans l’une des poches de son sac à dos et laissez-vous guider...

Dans A Walk in the Woods, Bill Bryson nous emmène le long du plus long chemin du monde : le sentier pédestre des Appalaches, qui longe la cote est des États-Unis et remonte depuis la Georgie jusqu’au Maine. Notre auteur reste fidèle à sa formule : le récit est truffé d’anecdotes et d’informations de toutes sortes. Ainsi, on en apprend sur l’histoire, la géologie et les sciences. Entre autres, Bryson nous apprend que la forêt est omniprésente en Amérique : « One third of the landscape of the lower forty-eight states is covered in trees – 728 million acres in all. Maine alone has ten million uninhabited acres. Altogether just 2 per cent of the United States is classified as build up. » Il nous enseigne les spécificités de la faune et de la flore de cette région du monde et nous fait le récit de son trajet insolite à travers son regard extrêmement positif et empreint d’un humour irrésistible.

Bill Bryson est un auteur qui met son nez partout. Il a le flair pour dénicher les plus infimes curiosités des endroits dans lesquels il se trouve et retranscrit l’ensemble pour le plus grand bonheur des lecteurs.

Tout comme on ne ressort pas indemne des lectures de Bill Bryson, lui-même n’est pas ressorti sans cicatrices de ce voyage : « You can’t hike the Appalachian Trail and then, go back home and cut the grass. »

Après avoir été journaliste, Bill Bryson, voyageur dont la vie est partagée entre son Iowa natal, la Nouvelle-Angleterre et le Royaume-Uni, s’est spécialisé dans les récits de voyage. Sa curiosité l’a conduit à publier Une histoire de tout ou presque, impressionnante vulgarisation qui tente d’aborder, de décrire et d’expliquer l’essentiel du savoir scientifique.

Cédric Moulin

le Club

Leonard Michaels, le Club

Traduit de l’anglais par Céline Leroy

Christian Bourgois éditeur, 2010, 168 pages, 15 euros

C’est l’histoire de six hommes qui se réunissent pour former un club, cela se passe dans les années soixante dix, les femmes s’émancipent de plus en plus et revendiquent leurs droits.

Tout se déroule autour de cette soirée durant laquelle les hommes vont à tour de rôle se confier sur leurs vies, les femmes, leurs certitudes, leurs doutes.

Cela se fait dans la joie, la tristesse, l’ivresse, la retenue, l’allégresse. Tantôt fiers, drôles, solidaires, tantôt tristes, amers, submergés par les émotions qui surgissent au récit de ces souvenirs enfouis.

Les protagonistes ne vont pas simplement raconter leur vie, ils vont revivre ces moments, se battre, se soutenir. La question des relations qu’entretiennent les hommes entre eux est centrale dans le livre.

Cependant l’auteur aurait pu aller plus en profondeur dans la psychologique des personnages. Ils sont très nombreux et pas toujours facilement identifiables lorsqu’ils prennent la parole.

Malgré l'écriture qui mélange humour noir, fatalisme et le tragi-comique des situations, on a un sentiment d'inachevé à la fin du livre.


Avec Hanka, Jacques Le Goff, Gallimard, 2008.


«… un effort pour prolonger ma vie avec une femme que j'ai profondément aimée et que j'aimerai toujours ardemment jusqu'à ma mort. J'ai quatre-vingts ans. » C’est ainsi que Jacques Le Goff explique sa démarche, celle de refaire vivre sa femme à travers cet écrit.

Jacques Le Goff est un historien renommé, qui n’a plus besoin de faire ces preuves, Avec Hanka est son premier récit. En mêlant à la fois essai, biographie et témoignage, l’auteur tente de retracer la vie de sa femme en la replaçant dans un contexte historique et sociologique.

L’histoire commence au début des années 1960, et relate la rencontre et la vie d’une jeune femme polonaise et d’un jeune professeur d’histoire. Ils se marient en 1962, et s’installent à Paris. La trame principale est donc leur vie commune, sur fond d’Histoire et de guerre froide. Hanka est polonaise et arrive en France dans les années 1960. On suit alors son intégration en France et plus particulièrement à Paris. En effet, en dehors de quelques voyages, leur vie est centrée sur Paris.« Ce sera donc aussi l'histoire d'un couple; l'héroïne en sera l'épouse, une Polonaise, médecin, quittant son pays et son métier pour se marier avec un historien universitaire français, sans renoncer ni à sa culture d'origine, ni à sa personnalité, forte et discrète à la fois, ni à son indépendance à l'égard d'un mari aimé et de deux enfants chéris. Nous avons eu en effet une fille, née en 1967, et un fils, né en 1970, qui partagent, en m'aidant à survivre par leur affection et leur dévouement, mon amour pour leur mère et l'image que je voudrais perpétuer d'elle ici. »

Cependant, l’auteur parvient à nous livrer le témoignage d’une époque et d’une société.

Avec une écriture agréable, fluide, voire poétique, Jacques Le Goff nous offre un récit à la fois tendre et vrai.

Rosa candida, Audur Ava Olafsdottir, Zulma.

Rosa candida, Audur Ava Olafsdottir, Zulma.

Une couverture aux couleurs et dessins psychédéliques qui ne doit en aucun cas provoquer la réticence du lecteur. Si l’apparence du livre peut évoquer un contenu un peu fou et décalé, l’intérieur surprendra par sa douceur et sa poésie.

Rosa candida de Audur Ava Olafsdottir est un hymne à la vie qui chante les universaux : la famille, l’amour et l’amitié. Mais cela n’est pas tout, il y a aussi ce végétal odorant qu’est la rose et qui participe à la fraîcheur, à la candeur et à la volupté ambiante.

Il s’agit là d’un roman initiatique qui raconte le périple du jeune Lobbi dans son Islande natale. Après le décès de sa mère, le garçon hérite de la passion maternelle : la serre des roses et la culture d’un spécimen rare : la rosa candida. Un soir où le jeune homme se promène avec une amie, l’insouciance lui fait oublier la part de responsabilité qu’engendre l’acte amoureux, à savoir l’éventualité d’une naissance. Choisissant d’occulter cet épisode et de ne plus avoir de contact avec cette amie, le jeune homme décide également de quitter son vieux père et son frère autiste, pour restaurer la roseraie d’un monastère. Si à son départ la rose semble être l’unique objet de son attention, le temps lui fera découvrir son rôle de père et les surprises que la vie peut réserver.

« Je choisis déjà un endroit abrité et ensoleillé pour la nouvelle espèce de rose que je vais ajouter. Elle ne sera peut-être pas très visible au début et ne fleurira pas tout de suite, mais ici sont justement réunies les conditions de lumière pour qu’une nouvelle variété de rose inconnue se mette à pousser dans le terreau fertile. »

Audur Ava Olafsdottir est née à Reykjavik. Rosa candida est son troisième roman après Terre relevée en 1998 et Pluie de novembre en 2004.

Une écriture fluide et agréable, en parfaite harmonie avec la pureté de l’histoire et de ses personnages. En somme, un roman qui donnera un avant goût du printemps et de ses délices…

Erlend Loe, Muléum, Édition Gaïa, 2008.


« On va s’écraser, je t’aime. Fais ce que tu veux. Papa » c’est par ces mots qu’Erdend Loe commence son roman Muléum. Des mots terribles pour une jeune fille sur le point de perdre les êtres qu’elle aime
Erlend Loe est un écrivain et scénariste norvégien, né en 1969. Muléum est son 6e roman après Naïf. Super., Autant en emporte la femme, Maria et José, Doppler et Volvo Trucks.
Notre héroïne, Julie, 18 ans, reçoit un sms de son père : ce dernier se trouve en voyage en compagnie de sa mère et de son frère au-dessus de l’Afrique, ils sont sur le point de s’écraser. Par ces quelques mots, il l’a prévient de l’horreur de la situation. Dès lors Julie n’a pu l’envie de vivre, se retrouvant seule dans leur grande maison à Oslo. On lui conseille de tenir un journal, très peu pour elle, pour y coucher ses humeurs, ses sentiments. Finalement elle y écrit ses idées, mais surtout ses plans pour se suicider et ainsi retrouver sa famille. Une corde, faire le tour du monde en espérant se crasher en avion ? le choix est vaste et elle va les tenter (en les ratant avec brio). On suit alors ses aventures, de la Corée pour rencontrer un champion de patinage de vitesse au Sahara et ses hommes du désert.
Livre, journal-intime, on suit pas à pas les états d’âme de l’héroïne. Intime, drôle, décalé, cynique, dans ce roman tous les clichés sur la perte, le suicide, les bobos ou le monde des adultes sont mis à mal à coups de « les gens sont mignons » ou « mais quelle conne cette constance ! ». Dans un style vif, percutant et sans concession à travers la plume d’une jeune fille en colère et perdue.
Dans un thème difficile à aborder comme le suicide Erlend Loe apporte un regard différent grâce à cette héroïne post-adolescente. Pour ce roman l’auteur a reçu le Prix Jean Monnet des Jeunes Européens lors du festival Littératures Européennes de Cognac en 2008.

Stalker, Arkadi et Boris Strougatski, trad. Svetlana Delmotte, éd. Denoël, 2010,

Redrick Shouart vit à Harmont, petite ville populaire. C’est un stalker. Un stalker est un trafiquant, mais un trafiquant d’un genre un peu particulier. Les stalkers vivent du trafic d’objets extraterrestres. Oui, les extraterrestres existent. Il y a plusieurs années, une civilisation inconnue et inconnaissable, peut-être originaire de Deneb, a visité la Terre. Ses représentants, à peine arrivés, sont aussitôt repartis. Mais ils n’en ont pas moins laissé leur carte de visite : les six Zones de la Visite, aires en apparence banales vues de loin, mais truffées d’artefacts et de phénomènes étranges, souvent incompréhensibles, témoins d’une technologie (mais s’agit-il seulement de technologie au sens où nous l’entendons ?) très en avance sur la nôtre et dont les fondements en sont radicalement différents. Tout cet arsenal exotique porte des noms dont la consonance est à la fois ésotérique et jargonante : les « calvities de moustique » sont des zones où la gravité est si forte qu’elle écrase tout, la « gelée de sorcière » est une substance bleuâtre qui dissout tout ce qui la touche, les « creuses » sont deux disques parallèles que rien ne semble relier et qui sont cependant inséparables et indestructibles. Ces objets, cependant, loin d’avoir fait entrer l’humanité dans une ère nouvelle, n’en finissent pas d’intriguer les scientifiques du monde entier qui voient en eux des défis à la physique connue. La vie à Harmont, bourgade populaire située juste à côté d’une des Zones, poursuit son cours habituel, des années même après la Visite. Les stalkers sont avant tout des hommes. C'est ainsi qu'ils gagnent leur vie, en vendant aux militaires des objets que ces derniers n'oseraient pas aller chercher eux-mêmes tant les Zones leur inspirent de crainte. Discipline, courage et audace sont les maîtres mots pour espérer ressortir vivant et récupérer le trésor qui rapportera quelques billets verts. Il existe cependant certains trésors dont la valeur va bien au-delà de cela : il existerait, au centre de la Zone de Harmont, une boule d'or capable d'exaucer tous les désirs. Cet objet a tout d’une légende, et pourtant il existe bel et bien : après bien des efforts, Redrick Shouart finit par la trouver, en plein cœur de la Zone, et dans un dernier souffle, prononce ainsi son vœu (les majuscules figurent dans le texte d’origine) : DU BONHEUR POUR TOUT LE MONDE, GRATUITEMENT, ET QUE PERSONNE NE REPARTE LÉSÉ.

Ego Tango, Caroline de Mulder, éditions Champ Vallon

Caroline de Mulder est une jeune auteur d’origine flamande. Elle est enseignante à la faculté de Namur. Elle a fréquenté pendant de nombreuses années le milieu du tango parisien et Ego Tango est son premier roman.

Dès le début de l’histoire, le lecteur est baigné dans le milieu particulier du tango parisien. La narratrice énigmatique, dont nous ne connaissons pas le nom et que nous pouvons supposer être l’auteur mais sans aucune preuve, est entourée de trois personnages : Ezequiel, son amant et partenaire de danse ; Lou, une amie ; et Alexis, l’amant et partenaire de danse de cette dernière. Le tango prend une place très importante dans la première partie du livre. La jeune femme décrit son attachement pour cette danse, mais aussi l’exigence qu’elle recquiert et la souffrance qu’elle lui procure. Elle insiste sur la description de ce monde si spécial qu’elle fréquente. Ainsi, le lecteur a l’impression d’entrer dans un monde à part où règnent la beauté, les paillettes, mais aussi la superficialité et surtout l’alcool pour oublier les souffrances causées par la danse. Dans la seconde partie du roman, l’intrigue est ravivée par la disparition de Lou et Alexis. Le roman s’oriente alors plus vers le « thriller latino » ce qui réactive l’intérêt du lecteur. Ainsi, tout en continuant à fréquenter régulièrement les milongas (bars où l’on danse le tango), la narratrice essaie de comprendre pourquoi son amie a disparu. Elle découvre des vidéos étranges de Lou réalisées par Alexis et suspecte ce dernier d’avoir enlevé son amie. De plus, Ezequiel disparaît lui aussi pendant quelques jours sans donner de nouvelles. Elle se retrouve alors seule face aux vidéos de son amie qui deviennent une obsession pour elle et qui la perturbe beaucoup. Cette histoire entraîne la narratrice dans une véritable descente aux enfers et nous montre les ravages que peuvent entraîner le repli sur soi.

Demain j’aurai vingt ans, Alain Mabanckou, Gallimard.


Si le rire est le propre de l’Homme, Alain Mabanckou réussit toujours à le faire apparaître sur notre visage dans chacune de ses nouvelles parutions !

Que vous soyez déjà familiers ou premiers lecteurs de cet auteur, vous allez adorer le nouveau roman de l’écrivain d’origine congolaise Alain Mabanckou, Demain j’aurai vingt ans, publié en septembre 2010 lors de la rentrée littéraire aux éditions Gallimard ( 21,90 euros).

En effet, l’auteur, dans une sorte d’autofiction, prend comme protagoniste de son livre, un gamin de neuf ans, Michel.

Nous, lecteurs, voyons l’enfance africaine de ce gosse dans les années 1970 à travers ses propres yeux : la description de son village, de sa famille communiste (son tonton, c’est le chef du village, pas loin de la capitale, Brazzaville) mais qui vit à l’antipode de l’idéologie léniniste, de son meilleur ami et surtout de son amoureuse : bref, la vie au quotidien d’un gosse qui, on le comprend vite, n’est autre qu’Alain Mabanckou lui-même.

On rit du début à la fin : la première phrase donne d’emblée le ton du récit de celui qui a reçu en 2006 le prix Renaudot pour Mémoires de porc-épic : Dans notre village, pour être le chef, il faut avoir un gros ventre et une grosse voiture.

Paf ! On est directement plongé dans l’ambiance ; c’est drôle, certes, mais l’auteur, caché derrière le petit Michel, assène aussi des réalités qui ne sont pas si légères que cela. Il nous présente un beau pays, certes, le Congo, mais dont les fonctionnaires sont corrompus et où l’argent est roi. L’auteur ne cesse de prouver à quel point la reconnaissance sociale est directement liée à ceux qui en possèdent, et ceux qui n’en n’ont pas, et qui doivent se démerder pour en trouver, comme nous le dit à plusieurs reprises Michel, du haut de ses neuf ans…

D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que le titre du livre s’appelle ainsi : Michel a un rêve. Celui d’avoir, quand il aura vingt ans, assez d’argent pour se payer une automobile rouge qui transportera fièrement sa petite amoureuse élégamment accompagnée d’un petit chien bien blanc, symbole de la réussite sociale au Congo, à cette époque…

Un livre attachant, drôle, bourré d’humour dans la veine des précédents ouvrages de Mabanckou, mais également caustique, cassant les clichés, révélant la vérité de la vie au Congo : en un mot… LISEZ !!!!

Le Quai de Ouistreham, Florence Aubenas, L’Olivier, 2010.

Le Quai de Ouistreham est une enquête en immersion au cœur de ce qu’on appelle, sans vraiment savoir ce que cela recouvre, la « précarité ».

Florence Aubenas est née en 1961. Elle a fait la plus grande partie de sa carrière de journaliste à Libération avant de devenir grand reporter au Nouvel Observateur. En 2005, elle a été retenue captive 157 jours en Irak après avoir été enlevée alors qu’elle réalisait un reportage à Bagdad. Florence Aubenas a déjà publié quatre ouvrages, dont une enquête sur l’affaire d’Outreau. Elle a été élue à la tête de l’Observatoire international des prisons en 2009.

Pour comprendre ce que signifie vraiment cette crise économique dont on nous a tant parlé, Florence Aubenas s’est immergée dans le monde de ceux qu’on appelle les « précaires ». Elle a pris un congé sabbatique sous prétexte de partir écrire un roman au Maroc, a loué une chambre de bonne dans une ville qui lui était inconnue, Caen, s’est teint les cheveux, a porté des lunettes, et s’est inscrite au chômage avec comme seul bagage dévoilé son baccalauréat. L’immersion a duré six mois.

L’auteure raconte son expérience au jour le jour, subjectivement. Elle décrit les rendez-vous au Pôle Emploi, les séances de formation et les conditions de travail harassantes. On découvre en même temps qu’elle que le travail ne se compte plus qu’en heures. Trouver deux heures de ménage par jour, même payées au minimum légal, même à trois heures de route de chez soi, c’est tout ce qu’elle pourra espérer.

C’est aussi à travers les rencontres qu’elle a faites qu’Aubenas décrit la réalité de la précarité. Collègues de travail, employeurs, conseillers de Pôle Emploi, formateurs : ce sont eux qui, par leurs comportements et leurs histoires personnelles, rapportés par Aubenas, permettent de comprendre les conséquences de la crise. Pleins d’espoir ou résignés, dociles ou en révolte face à un système aussi humiliant qu’inefficace, souvent solidaires les uns des autres, ces gens ancrent le récit dans une réalité humaine.

Cette réalité, Aubenas l’a vécue de l’intérieur. Au fil du récit, elle décrit sa fatigue, physique d’abord, puis morale, son découragement, sa colère parfois, les humiliations, l’angoisse d’être renvoyée à tout moment et sans ménagement pour avoir oublié de vider une corbeille à papier cachée sous un bureau, la peur de ralentir l’équipe toute entière par sa maladresse, etc.

Grâce à cette narration à la première personne et à la place que donne l’auteure à ceux qu’elle a rencontrés, cette enquête passionnante se lit comme un roman aux personnages particulièrement attachants.